lundi 18 novembre 2013

Session n°2 - Texte de Trèfle

Aujourd'hui, j'ai vu un candidat sérieux. Il était là pour le poste que nous avons à pourvoir, mais il aurait tout aussi bien pu concourir pour le prix des jambes les plus lourdes au monde. C'est incroyable, elles avaient l'air de peser des tonnes.
La secrétaire appelait les candidats un par un, et ils tombaient dans mon bureau comme du gravier. J'avais l'impression de m'y noyer, coincée derrière la table en bois massif. J'aurais voulu m'échapper, déménager dans la vie d'une autre personne. Mais on porte son existence comme une chemise incrustée dans la peau, impossible à enlever.
Et encore d'autres. Je parcours leurs fiches et j'ai envie de redevenir enfant. Être, simplement, librement. Je veux me sauver, retrouver mes jeux de gamin. Même les coups de poings me manquent. Leur menace qui pèse la plupart du temps, qui rend la vie tellement plus... vivante. L'odeur de la boue sur nos vêtement après la pluie noire et sale.
Il m'observe sérieusement pendant que je suis perdue dans la crise de mes pensées. C'était lui. Le candidat idéal. Celui qui parcourrait l'asphalte sombre sans relâche.
Comme par hasard, j'ai à ce moment dans la tête un tas d'enfant affalé sur le sol d'un chambre douillette. Ils fixent de leurs yeux hallucinés l'écran d'une télé qui crache infatigablement son bagou marchand.
Certains disent que c'est la belle vie d'être à mon niveau de responsabilité dans une si grande entreprise. Je ne raconte pas ce genre de salades. Mon nirvana est ailleurs, quelque part au dedans de moi même. Après une décennie peuplée de quelques éclairs joyeux, mon volcan intérieur gronde. Je veux être heureuse, envers et contre tout.
- Bien, je vais vous libérer. Nous nous verrons à la prochaine audience. D'ici là je procéderais à la vérification de votre dossier.
J’aperçois soudain une lueur de folie dans son visage. Je note sur un post-it qu'il faudra lui présenter les prototypes. Il devra également figurer sur scène, il faudra lui expliquer tout cela. C'est mon rôle. Je réunis les papiers à transmettre à l’exécutif avant de le raccompagner à la porte, poursuivie par des visages d'enfants. Il semble tout penaud d'un coup, je le relâche avec bienveillance.
Plus tard, enveloppée dans mon lit, je repense à ces souvenirs qui ont surgi au beau milieu de l'entretien d'embauche. J'entends la mer gronder derrière la fenêtre, comme le chant de la plus belle des sirènes. Les vagues viennent embrasser les rochers sur la joue, et se retirent dans l'air.
Je pense.

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